Toxicité pulmonaire médicamenteuse : quelles causes ?
Les pneumopathies d’origines médicamenteuses sont des lésions ou des dysfonctionnements pulmonaires provoqués par l’utilisation de certains médicaments.
Les formes peuvent être variées :
- Bénignes.
- Sévères pouvant engager le pronostic vital.
Le diagnostic est difficile car les médicaments pneumotoxiques sont nombreux et la clinique est hétérogène.
1. Epidémiologie
Les pneumopathies médicamenteuses représentent environ 2 à 5% des pneumopathies interstitielles diffuses (PID).
75% des pneumopathies médicamenteuses sont des PID.
Elles sont généralement sous-estimées en raison de l’absence de tests spécifiques pour établir le lien causal avec un médicament.
2. Facteurs de risque
Plusieurs facteurs de risques ont été incriminés :
- Durée du traitement / dose cumulée (ex. Amiodarone).
- Comorbidités préexistantes : maladies pulmonaires chroniques.
- Prédispositions génétiques : polymorphismes génétiques altérant le métabolisme des médicaments.
- Polymédication : risque d’interactions médicamenteuses élevé.
3. Mécanisme
Le vrai mécanisme reste méconnu, mais on distingue comme les autres toxicités médicamenteuses :
- Toxicité directe : certains médicaments ou leurs métabolites peuvent être directement toxiques pour les tissus pulmonaires: accumulation de lipides dans les macrophages alvéolaires (Amiodarone), stress oxydatif (Bléomycine).
- Effet inflammatoire : des lésions au niveau des alvéoles et/ou des voies respiratoires par libération de cytokines et médiateurs pro-inflammatoires dans le parenchyme pulmonaire (ex : Interférons).
- Réaction immunitaire : activation anormale du système immunitaire contre les tissus pulmonaires (ex : Nitrofurantoïne, Sulfasalazine).
- Modification des processus métaboliques : certains médicaments peuvent altérer les mécanismes de réparation tissulaire ou la production de surfactant.
4. Formes cliniques
a. Atteinte du parenchyme pulmonaire: pneumopathies interstitielles diffuses (syndrome restrictif)
Clinique : les symptômes varient selon la gravité et la nature de l’atteinte :
- Symptômes respiratoires : Dyspnée d’effort, pouvant évoluer vers une dyspnée au repos, toux sèche.
- Signes systémiques : Fièvre, fatigue, arthralgies (dans les formes hypersensibles).
- Auscultation : Crépitants fins bilatéraux.
- Cyanose ou signes d’hypoxémie dans les formes avancées.
Imagerie thoracique : La tomodensitométrie thoracique est essentielle pour le diagnostic :
- Atteinte en verre dépoli : Suggère une alvéolite aiguë.
- Épaississement septal ou réticulations : Évoquent une atteinte interstitielle chronique ou fibrosante.
- Opacités nodulaires,
Tests fonctionnels respiratoires
- Syndrome restrictif : réduction de la capacité vitale forcée et de la capacité pulmonaire totale.
Biologie
- Hyperéosinophilie : possible dans les formes d’hypersensibilité.
- Syndrome inflammatoire : élévation de la CRP ou de la VS dans certaines formes.
Gaz du sang
- Hypoxémie souvent aggravée à l’effort.
- Alcalose respiratoire.
Diagnostic différentiel
- Infections pulmonaires (bactériennes, virales, fongiques).
- PID idiopathiques (fibrose pulmonaire idiopathique, sarcoïdose).
- Atteintes pulmonaires liées à des maladies systémiques (connectivites, vascularites).
Les médicaments incriminés :
- Chimiothérapies
- Bleomycine : l’un des agents les plus fréquemment impliqués, dose-dépendant.
- Cyclophosphamide, mitomycine C : provoquent une toxicité interstitielle directe.
- Anti-infectieux
- Nitrofurantoïne : surtout en usage prolongé (atteinte fibrosante ou aiguë).
- Sulfasalazine : une alvéolite allergique ou une fibrose interstitielle
- Rifampicine : réaction d’hypersensibilité possible.
- Médicaments cardiovasculaires
- Amiodarone : atteinte dose-dépendante, souvent fibrosante.
- Hydralazine : peut provoquer un syndrome lupique avec atteinte interstitielle.
- Médicaments immunomodulateurs
- Méthotrexate : peut entraîner une alvéolite allergique ou une fibrose interstitielle.
b. Atteinte des voies aériennes
Se manifeste par des symptômes variés touchant le larynx, la trachée, les bronches ou les petites voies aériennes.
- Bronchospasme : Bêta-bloquants, Aspirine et AINS.
- Toux : Inhibiteurs de l’enzyme de conversion, Bêta-bloquants, Nitrofurantoïne.
- Œdème laryngé ou trachéal : Inhibiteurs de l’enzyme de conversion, Anesthésiques locaux ou généraux.
- Trachéite ou bronchite toxique : Amiodarone.
- Bronchiolite oblitérante : Pénicillamine, Busulfan et cyclophosphamide, Antibiotiques inhalés.
- Hémorragies des voies aériennes : Anticoagulants (warfarine, héparine).
- Sténoses ou fibroses des voies aériennes : Méthylsergide.
- Chimiothérapies : Busulfan, Mitomycine C.
c. Atteinte pleurale
- Épanchement pleural : Corticostéroïdes , Hydralazine et minoxidil, Methotrexate, Nitrofurantoïne.
- Pleurite médicamenteuse : Hydralazine et Procainamide.
- Fibrose pleurale : Méthylsergide, Ergotamine.
- Épanchements hémorragiques : Anticoagulants (warfarine, héparine).
- Fibrose médiastinale : Méthylsergide, Ergotamine, Bromocriptine.
d. Maladie vasculaire pulmonaire (HTAP)
La HTAP est caractérisée par une augmentation progressive des résistances pulmonaires menant à la défaillance cardiaque droite, en l’absence d’une cause postcapillaire du cœur gauche.
Clinique
- Les symptômes sont souvent non spécifiques, ce qui peut retarder le diagnostic. Ils incluent :
- Essoufflement (dyspnée) progressif, surtout à l’effort.
- Fatigue inexpliquée.
- Douleurs thoraciques.
- Syncope ou pré-syncope (liées à l’effort ou au stress).
- Œdèmes des membres inférieurs ou ascite (signes d’insuffisance cardiaque droite).
- Hippocratisme digital et cyanose dans les cas avancés.
Examens complémentaires
- Échocardiographie transthoracique.
- Radiographie thoracique.
- Tests fonctionnels respiratoires.
- Scanner thoracique haute résolution.
- Épreuve d’effort ou test de marche de 6 minutes).
Les médicaments incriminés
- Anorexigènes
- Fenfluramine et Dexfenfluramine : ces médicaments utilisés dans le traitement de l’obésité ont été retirés du marché en raison de leur lien étroit avec l’HTAP.
- Benfluorex (Mediator).
- Drogues récréatives et substances illicites
- Amphétamines.
- Méthamphétamines.
- Cocaïne.
- Chimiothérapies
- Mitomycine C.
- Cyclophosphamide.
- Dasatinib.
e. Atteinte neuromusculaire
Complications rares pouvant affecter la fonction des muscles respiratoires ou des nerfs contrôlant la respiration.
- Dépression respiratoire centrale: certains médicaments agissent sur le système nerveux central et réduisent le contrôle ventilatoire :
- Opioïdes (Morphine, Fentanyl, Codéine).
- Benzodiazépines (Diazépam, Lorazépam).
- Barbituriques (Phénobarbital).
- Anesthésiques généraux : Propofol, kétamine.
- Myopathies: certains médicaments peuvent provoquer une atteinte musculaire directe :
- Corticostéroïdes : myopathie stéroïdienne avec faiblesse des muscles proximaux et respiratoires (surtout en cas d’usage prolongé ou de fortes doses).
- Statines : rhabdomyolyse ou myopathie, pouvant affecter les muscles respiratoires dans les cas graves.
- Daptomycine.
- Colchicine.
- Bloc neuromusculaire: certains médicaments pouvant causer une paralysie respiratoire :
- Curarisants (Vecuronium, Rocuronium, Pancuronium) : utilisés en anesthésie et nécessitent une ventilation assistée.
- Aminosides (Gentamicine, Amikacine) : inhibent la libération d’acétylcholine, surtout en association avec d’autres myorelaxants.
- Magnésium (en excès) : peut aggraver un bloc neuromusculaire.
- Neuropathies périphériques: certains médicaments peuvent entraîner une atteinte des nerfs périphériques avec impact sur les muscles respiratoires :
- Chimiothérapies (vincristine, paclitaxel) : neurotoxicité dose-dépendante.
- Isoniazide : neuropathie périphérique par carence en vitamine B6.
5. Diagnostic
Le diagnostic de toxicité pulmonaire médicamenteuse est complexe et repose sur :
a. Imputabilité intrinsèque
PneumoDoc est un système informatisé qui propose une formalisation de la démarche diagnostique du pneumologue devant un tableau évocateur sur la base d’arguments chronologiques, sémiologiques, d’imagerie et cytologiques (lavage broncho-alvéolaire).
Critères séméiologiques
- Tableau clinique imagerie, biologique et histologique si utile
- Diagnostics différentiels : Absence d’une autre cause possible (infections, cardiaque)
Critères chronologiques
- Apparition compatible de l’EI par rapport à la prise du médicament suspecté.
- Déchallenge positif.
- Rechallenge positif.
b. Imputabilité extrinsèque : Pneumotox
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6. Pronostic
Le pronostic est variable selon la gravité et le délai de prise en charge.
- Formes aiguës : souvent réversibles si le médicament est arrêté rapidement.
- Formes chroniques : certaines, comme la fibrose pulmonaire, peuvent être irréversibles avec risque d’insuffisance respiratoire chronique.
En cas de syndrome de détresse respiratoire aigüe le pronostic vital peut être engagé en cas de non prise en charge rapide.
7. Prise en charge
Elle dépend de la gravité et de l’agent causal :
- Arrêt imminent du médicament incriminé.
- Corticostéroïdes : indiqués pour les pneumopathies inflammatoires ou d’hypersensibilité.
- Oxygénothérapie pour l’hypoxémie.
- Assistance respiratoire en cas de syndrome de détresse respiratoire aigue.
Suivi à long terme des fonctions pulmonaires en cas d’atteinte irréversible (ex. : fibrose pulmonaire).
8. Conclusion
La lutte contre l’automédication et la prescription intempestive et erronée des médicaments est indispensable.
Bien que rares, les toxicités pulmonaires d’origine médicamenteuse peuvent être graves, raison pour laquelle une identification rapide et une prise en charge précoce sont essentielles pour limiter les séquelles et améliorer le pronostic des patients.
La pharmacovigilance joue un rôle clé dans la détection et le signalement des cas, contribuant à limiter les risques et à adapter les pratiques cliniques.
L’éducation des patients pour reconnaître les symptômes respiratoires précoces est primordiale tout en ayant une attention particulière doit être portée aux patients à risque et sous traitement prolongé.