Pancréatite Aiguë Médicamenteuse : un sujet méconnu

Le pancréas est une glande du système digestif, situé dans l’abdomen, logé en profondeur derrière l’estomac.

pancréatite

Il possède deux fonctions :

Fonction endocrine (composée de 10% des cellules pancréatiques)

Elle assure la production des hormones qui régulent la glycémie selon les besoins de l’organisme.

  • Insuline (diminue la glycémie).
  • Glucagon (augmente la glycémie).

 

Fonction exocrine (représentée par 90% des cellules pancréatiques)

Production des enzymes pancréatiques indispensables à la digestion des aliments.

Ces enzymes (trypsine, amylase, lipase, chymotrypsine, élastase, exopeptidases, etc.), sont synthétisées et excrétées sous une forme inactivée et seront activées une fois parvenues dans le tube digestif afin de digérer les différents nutriments.

La pancréatite aiguë (PA) est l’inflammation aiguë de la glande pancréatique.

Elle s’installe en quelques heures, voire quelques jours et elle peut aller de l’œdème à la nécrose pancréatique et/ou péri pancréatique.

Au cours de la PA nous avons une activation prématurée et inadaptée des enzymes pancréatiques.

 

1. Epidémiologie

Le premier cas d’une PA médicamenteuse a été rapporté en 1955 (PA hémorragique associée à une corticothérapie).

La PA médicamenteuse représente environ 2% des PA.

Son incidence est actuellement en augmentation avec plus de 370 médicaments incriminés.

En pédiatrie, chez l’enfant, 30% des PA sont d’origine médicamenteuse.

Dans 10 à 15 % des cas, les PA médicamenteuses peuvent avoir des signes de gravité et évoluer sur un mode nécrotico-hémorragique.

 

2. Mécanisme

Souvent le mécanisme de la toxicité PA est inconnu. Cependant deux mécanismes sont évoqués :

Toxicité directe : du médicament ou de l’un de ses métabolites :

  • Toxicité mitochondriale.
  • Réaction immunoallergique.

Toxicité indirecte : conséquence d’un effet secondaire du médicament :

  • Hypertriglycéridémie, hypercalcémie (Ohiazidiques).
  • Œdème localisé (IECA).
  • Spasme du sphincter d’Oddi (opiacés).
  • Ischémie (Diurétiques, Azathioprine).
  • Thrombose intravasculaire (Œstrogènes).
  • Augmentation de la viscosité du suc pancréatique (Diurétiques, Stéroïdes).

 

3. Diagnostic étiologique

Le diagnostic de PA médicamenteuse nécessite l’exclusion des autres causes.

  • Cause biliaire : Calculs dans la vésicule qui migrent dans la voie biliaire principale (entre la vésicule biliaire et le pancréas) ou canal cholédoque > possibilité d’obstruer le canal pancréatique principal > PA.
  • Cause alcoolique : Forte consommation chronique d’alcool par une toxicité directe sur les cellules pancréatiques exocrine > activation des enzymes pancréatique > inflammation chronique > PA.

 

Principales causes de PA

 

  • Patient âgé : une obstruction tumorale des canaux pancréatiques (adénocarcinome du pancréas ou kyste du pancréas).
  • Patient jeune : origine infectieuse bactérienne (Salmonella, Campylobacter, Mycoplasma, Legionella) ou virale (Coxsackie, oreillons, cytomégalovirus (CMV)).
  • Autres : pancréatite post cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique (PPCPRE), pancréatites auto-immune, héréditaire

Cause médicamenteuse :

La littérature disponible concernant les PA médicamenteuses est avant tout basée sur des cas rapportés et sur des petites séries.

Pancreatox® créé en 1985, est une banque de données bibliographiques basée sur les troubles pancréatiques d’origine médicamenteuse.

Quatre critères pour pouvoir imputer un médicament comme cause de PA:

  • La pancréatite se développe durant le traitement avec le médicament.
  • L’absence d’autres causes de pancréatite.
  • La pancréatite se résout avec l’interruption du médicament.
  • La pancréatite récidive avec la réintroduction du médicament.

En fonction de ces critères les médicaments ont été classés en trois classes

Association certaine les quatre critères soient remplis.
Association probable les quatre critères soient remplis hormis les réexposition.
Association possible il n’existe que des niveaux de preuves incomplètes ou contradictoires.

 

Parmi les médicaments les plus fréquemment incriminés, on distingue:

  • Médicaments utilisés lors d’infections par le VIH : Didanosine : c’est le médicament avec le plus grand nombre de cas rapportés dans la littérature (toxicité dose-dépendante).
  • Antiépileptiques : Clozapine, Olanzapine et acide valproïque / Effet toxique direct sur les cellules pancréatiques / En pédiatrie ++ / Evolution plus grave (nécrose pancréatique).
  • Inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) : Lénalapril, Captopril, Lisinopril / Le mécanisme est encore inconnu mais on suspecte un œdème localisé.
  • Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : Le Sulindac ++ (quelques semaines ou quelques mois après le début du traitement) / De rare cas rapportés sous Indométacine, Ibuprofène, Diclofénac et Naproxène.
  • Diurétiques : Furosémide ++ mécanisme inconnu mais on suspecte une pancréatite ischémique.
  • Antibiotiques : Tétracycline / Sulfamidés : un mécanisme immunoallergique est suspecté.
  • Corticoïdes : De nombreux cas sont décrits dans la littérature mais l’imputabilité des stéroïdes est fortement remise en question (comorbidité et interaction médicamenteuses).
  • Antidépresseurs : Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (SSRI) / Mécanisme inconnu mais on suspecte une apoptose cellulaire, l’inhibition de la sécrétion d’insuline.
  • Œstrogènes : Chez de jeunes patientes (exposition de quelques semaines à quelques années) / Le mécanisme suspecté est la formation de thromboses intravasculaires.

 

4. Diagnostic positif

Une anamnèse approfondie est indispensable !

Clinique

Il n’existe pas de sémiologie permettant de distinguer une PA médicamenteuse d’une autre origine.

  • Une douleur abdominale typique est présente dans 100% des cas :
    • Epigastrique, intense, transfixiante.
    • Irradiation hypochondres.
    • Progressive et permanente (>24h).
  • Nausées et vomissements (80%).
  • Fébricule (75%).
  • Défense abdominale (70%).
  • Distension abdominale (65%).
  • Ictère (30%).
  • Choc (15%).

 

Biologie

Il n’existe pas de dosage biologique spécifique permettant de confirmer une PA médicamenteuse.

Une élévation du taux de lipase est plus sensible et plus spécifique que l’amylase.

Seule la confirmation biologique d’un surdosage médicamenteux confirmera le diagnostic de l’origine médicamenteuse d’une PA.

 

Radiologie

1) Radio thorax :

  • Epanchement pleural.

2) Abdomen Sans préparation :

  • Iléus paralytique, calcifications.

3) Echographie

Pancréatite œdémateuse:

  • Pancréas augmenté de volume.
  • Diminution de l’échogénicité.

Pancréatite nécrotique:

  • Hétérogénéité du parenchyme et péri pancréatique.
  • Collections liquidiennes avoisinantes.

4) TDM

  • Examen de référence.
  • A faire dans les 1ères 48 heures après le début des douleurs.
  • Identifie les potentielles complications (une nécrose du pancréas).

En résumé, le diagnostic d’une PA repose sur la présence de deux des trois critères suivants :

  • Douleur abdominale typique.
  • Elévation du taux de lipase sérique à plus de 3N,
  • Image évocatrice PA au TDM.

 

5. Pronostic

Une PA médicamenteuse a un bon pronostic dans la grande majorité des cas (80%) (pancréatite œdémateuse) avec une évolution rapidement favorable après l’interruption du traitement incriminé.

Une normalisation des tests pancréatiques peut dans certains cas prendre plusieurs mois.

Dans 10 à 15 % des cas il s’agit d’une forme sévère dont le risque de mortalité est estimé à 20 % (d’emblée une défaillance d’un ou de multiples organes ou elle d’une infection de la nécrose pancréatique).

 

 

6. Prise en charge

Il faut évaluer la gravité rapidement.

Tous les patients ayant une PA doivent être hospitalisés (En cas de pancréatites sévères, il est nécessaire d’instaurer une unité de soins intensifs).

Le traitement de première intention est essentiellement symptomatique.

Des antalgiques, en particulier de fortes posologies d’opiacés par voie parentérale, et des antiémétiques sont prescrits.

En cas de suspicion d’une cause médicamenteuse l’arrêt de/des médicament(s) suspecté(s) doit être immédiat.

Tant que les douleurs persistent ; le pancréas est mis au repos grâce à un jeûne.

Hydratation et un équilibre hydro-électrique immédiat (perfusion du sérum salé et glucosé).

Après 48 heures sans douleur avec reprise du transit on peut autoriser l’alimentation orale.

Si pancréatites sévères : instaurer une alimentation par sonde.

En cas d’infection de la nécrose pancréatique, un drainage doit être associé à une antibiothérapie.

 

7. Conclusion

Lutter contre l’automédication et la prescription intempestive et erronée des médicaments.

Devant la morbidité élevée de la PA et le risque de séjours hospitaliers prolongés ; la recherche d’une cause médicamenteuse est indispensable en cas de PA d’étiologie inconnue afin de suspendre dans les meilleurs délais la prise du produit incriminé, sans pré­voir de réintroduction à court terme.

Seule la réintroduction prudente d’un médicament indispensable peut être envisagée après une preuve d’une toxicité pancréatique.

La PA médicamenteuse est malheureusement souvent sous-déclarée :

  • Souvent pas suspecté.
  • L’élévation modérée des enzymes pancréatiques sériques est souvent sous-estimée.
  • Longue latence (jusqu’à plusieurs mois) entre l’introduction du traitement et l’épisode.
  • Diagnostic erroné d’étiologie biliaire ou alcoolique.

Des listes détaillées des médicaments les plus souvent incriminés sont disponibles dans la littérature.

Sensibiliser les professionnels de santé à déclarer toute suspicion de PA médicamenteuse.